Pendant sa prime jeunesse, Emile vécut dans une ville qui achevait une véritable métamorphose architecturale.
Le 25 octobre 1865 en effet, le bourgmestre de Bruxelles Jules Anspach, soutenu par le Roi Léopold II, avait arraché au Conseil communal de la ville la décision définitive du voûtement de la Senne. Cette rivière, si importante à l’origine de la naissance de la ville, était devenue un véritable égout à ciel ouvert, tout à fait pollué par tous les déchets des entreprises installées sur ses rives et aussi étant donné son débit beaucoup trop lent.
Si certains documents anciens nous rappellent le charme des quartiers traversés jadis par la Senne, d’autres nous révèlent l’aspect du véritable marécage qu’elle devenait peu à peu.
Cet "envoûtement" selon les termes officiels de l’époque, de 1865 à 1871 environ, entraîna un bouleversement très important de la configuration de Bruxelles : un nouvel axe Nord-Midi fut créé, avec de nouveaux boulevards bordés d’immeubles à étages qui se voulurent de style "haussmannien" parisien ! Des monuments imposants comme la nouvelle Bourse et des grands magasins furent érigés et des quartiers entiers profondément rénovés.
Toute cette architecture de la fin du XIXème siècle à Bruxelles fut marquée par ce que l’on qualifia plus tard de "style pastiche", "style historique" ou style éclectique, c'est-à-dire un assemblage parfois étonnant de différentes caractéristiques des styles antérieurs: classique, gothique, renaissance flamande et baroque.
Ce qui nous intéresse ici c’est de nous rendre compte que le jeune Emile, pour peu qu’il ait levé les yeux et qu’il se soit intéressé à ce qui se construisait autour de lui (ce qui fut peut-être le cas ?) dut voir un peu partout des colonnes, des frontons, des cariatides et des atlantes, des pignons à redans à satiété !
La nouvelle Bourse de Bruxelles, construite par l’architecte Léon Suys, responsable de l’ensemble des travaux du voûtement de la Senne, est édifiante à ce sujet.
On retrouve en effet, dans ce bâtiment, à peu près tous les éléments d’une façade de temple romain, plus une décoration baroque abondante; l’intérieur en étant tout aussi antiquisant !
Caractéristique aussi de cette tendance est le bâtiment qui remporta le premier prix des constructions érigées le long des nouveaux boulevards de Bruxelles: « La Maison du chat » œuvre de l’architecte Henri Beyaert (1874 – n°1 Boulevard Adolphe Max ).
Fin XIXème et début XXème s., il n’y eut pas que les transformations architecturales qui modifièrent le cadre de vie dans lequel se forma notre futur architecte, beaucoup d’autres changements apparurent aussi dans le domaine de la vie citadine en général.
L’ouverture des "Grands magasins" modifia certainement la vie courante et pratique des Bruxellois.
Le "Bon Marché" avait déjà ouvert ses portes rue Neuve en 1845.
A partir de 1897, c’est le « Grand Bazar » au boulevard Anspach qui attire les clients.
Quant à la Firme "Delhaize", elle avait ses "fabriques" à Molenbeek près de la gare de l’Ouest depuis 1883 et elle ouvre un premier "grand magasin d’alimentation Delhaize le Lion" à Bruxelles, rue Juste Lipse, vers 1911-1912.
La "mode de Paris" fait son entrée dans tous les milieux féminins et si la mère et les sœurs aînées d’Emile restent toujours vêtues strictement en "long" et obligatoirement chapeautées, pour les plus jeunes, les jupes raccourcissent peu à peu et les Messieurs remplacent volontiers le "gibus" ou le chapeau "boule" par le célèbre "canotier" parisien.
Plusieurs autres quartiers de Bruxelles, entraînés par cette atmosphère générale favorable à la construction, changèrent alors totalement de physionomie en cette fin du XIXème s. et début du XXème s.
- Rue de la Régence, Alphonse Balat construit le nouveau Musée des Beaux-Arts (1875-1880).
- Le Parc du Cinquantenaire, avec ses colonnades et son immense Arc de Triomphe romain, (1880-1905) est l’œuvre des architectes Gédéon Bordiau et du français Charles Girault.
- Le gigantesque Palais de Justice inauguré assez subrepticement le 15 octobre 1883, avait été édifié (mais non terminé) par l’architecte Joseph Poelart. Il bouleversa par la même occasion tout le paysage bruxellois au-delà de la porte Louise.
L’histoire de ce bâtiment fut certainement connue de tous les Bruxellois car elle suscita un véritable vent de révolte populaire dans le quartier des Marolles, brutalement exproprié, avec sa population pauvre chassée de chez elle sans autre forme de procès.
Ce sont ces Marolliens furieux que l’on soupçonne d’avoir inventé la peu flatteuse, voire hautement injurieuse épithète de "schieven architect" pour qualifier l’auteur de tous leurs malheurs et qui devint une façon ironique de parler des architectes lorsqu’on était mécontent d’eux !
- Entre 1897 et 1910, au "Mont des Arts", un joli parc en déclivité fut réalisé aux frais personnels de Léopold II, par l’architecte Jules Vacherot.
- Quant au quartier où ont résidé les De Boelpaepe, Koekelberg, Emile eut l’occasion d’y suivre la construction problématique et à épisodes d’un projet énorme, aussi pharaonique que le Palais de Justice précité, décidé une fois de plus à l’initiative de notre Roi « bâtisseur »: la Basilique de Koekelberg.
Commencée en 1905 par l’architecte gantois Albert Van Huffel, elle fut inaugurée enfin en 1970.
Emile put étudier pas à pas la montée de cette construction, vivre ses temps d’arrêt (manque d’argent, discussions au sein du gouvernement, la guerre…), tout en suivant son propre chemin à l’ombre de ce mastodonte. Il n’en vit jamais l’inauguration mais sans doute a-t-il apprécié l’humour bon enfant du peuple bruxellois qui affirma très vite :
".. que cette monstrueuse architecture eut mieux convenu à Saint Honoré qu’au Sacré Cœur : la Koekeliek van Baselberg" !
Cependant en parallèle à cette "vogue du classicisme antique" qui, quelques années auparavant, avait fait dire au célèbre architecte français Viollet-le-Duc s’adressant aux futurs architectes auxquels il donnait cours :
«…Mais quand allez-vous, Messieurs les Architectes, porter la toge et le khiton ?... ».
Un esprit nouveau se manifeste enfin dans la construction suite à la révolution industrielle de cette fin du XIXème siècle.
Des avancées d’ordre technique, telles que l’utilisation du fer, sous forme d’acier et de fonte et du verre en grandes surfaces, commencent à s’imposer dans les nouveaux bâtiments. D’abord uniquement dans un but utilitaire en tant que structure et "camouflé" longtemps encore par des façades de briques ou de pierres.
Les Bruxellois purent en voir un très bel exemple dans les nouvelles serres royales de Laeken édifiées par l’architecte Alphonse Balat précité, principal architecte de Léopold II, avec l’aide de son collaborateur le jeune Victor Horta (1870 – 1890).
Ces techniques innovantes vont permettre de nouvelles conceptions architecturales qui s’épanouiront bientôt dans ce que l’on appellera le « Modern Style ou Art Nouveau » de la fin du XIXème s. jusqu’au tout début du XXème s. et dont la Belgique fut un des principaux foyers avec des architectes tels que Victor Horta, Paul Hankar, Henri Van De Velde, Ernest De Lune, Gustave Strauven et bien d’autres.
Ce style architectural qui eut un rayonnement européen, ne s’adressait toutefois qu’à une classe privilégiée. A Bruxelles, notamment à la jeune bourgeoisie libérale favorable aux nouveautés artistiques comme aux nouvelles idées sociales en politique.
Pour cet "art nouveau", il fallait non seulement du fer et du verre (que l’on avait donc encore tendance à "camoufler" à l’extérieur), mais aussi des bois précieux permettant de souples arabesques, des revêtements en mosaïques, des peintures riches et recherchées, beaucoup de dorures complaisamment étalées à l’intérieur. L’idéal social et démocratique, d’inspiration anglaise, qui présidait d’une certaine façon à l’esprit de départ, fut rapidement dépassé et l’Art Nouveau rayonna seulement dans des immeubles de prestige d’une très riche bourgeoisie. Par contre des éléments décoratifs caractéristiques vont se retrouver très fréquemment dans des demeures plus modestes et le mobilier "Modern style" aura beaucoup de succès.
Pour leurs clients riches et privilégiés, les architectes tels que Victor Horta ou Van de Velde entre autres, s’autorisèrent alors à construire des demeures dont ils concevaient eux-mêmes tous les éléments structurels aussi bien intérieurs qu’extérieurs et jusqu’aux plus infimes détails du mobilier et de la décoration.
Leurs clients s’en remettant totalement à eux, on put parler de "Maison Horta, Maison Van de Velde, Maison Hankar…" à propos de propriétés appartenant à leurs commanditaires.
Fin XIXème et début XXème s., il n’y eut pas que les transformations architecturales qui modifièrent le cadre de vie dans lequel se forma notre futur architecte, beaucoup d’autres changements apparurent aussi dans le domaine de la vie citadine en général.
L’ouverture des "Grands magasins" modifia certainement la vie courante et pratique des Bruxellois.
Le « Bon Marché » avait déjà ouvert ses portes rue Neuve en 1845.
A partir de 1897, c’est le "Grand Bazar" au boulevard Anspach qui attire les clients.
Quant à la Firme "Delhaize", elle avait ses "fabriques" à Molenbeek près de la gare de l’Ouest depuis 1883 et elle ouvre un premier "grand magasin d’alimentation Delhaize le Lion" à Bruxelles, rue Juste Lipse, vers 1911-1912.
La "mode de Paris" fait son entrée dans tous les milieux féminins et si la mère et les sœurs aînées d’Emile restent toujours vêtues strictement en "long" et obligatoirement chapeautées, pour les plus jeunes, les jupes raccourcissent peu à peu et les Messieurs remplacent volontiers le "gibus" ou le chapeau "boule" par le célèbre "canotier" parisien.