Après ses études primaires, quels conseils d’orientation reçut-il et de qui ? De ce Monsieur De Keuster ?
Dans son "Traité d’Instruction Civique" Jean Dardenne laisse entendre que beaucoup d’élèves qui terminaient leurs études primaires à cette époque, s’en tenaient à celles-ci et il le déplorait :
"Ne croyez pas que vous êtes de jeunes savants, que vous n’avez plus rien à apprendre ! " les exhortait-il. Et il leur conseillait vivement de perfectionner leurs connaissances en suivant des cours pour adultes ou en fréquentant les bibliothèques populaires "… ouvertes par la Ville au prix de sacrifices énormes…" !
Emile De Boelpaepe, lui, entra l’année scolaire 1908-1909, à l’âge de 12 ans, à l’Institut d’Enseignement Supérieur Professionnel et Artistique St. Luc de Molenbeek.
Cette école spécialisée dispensait deux ans de cours préparatoires et quatre années d’architecture.
Cet institut de Molenbeek fut fondé en 1882 rue des Alexiens, puis émigra en 1887 rue des Palais à Schaerbeek, pour être finalement localisé définitivement à Molenbeek-St-Jean en 1898, au n° 54 rue de la Colonne et cela jusqu’en 1939.
Il faisait partie d’un grand ensemble d’écoles d’enseignement artistique "Saint Luc", aux dimensions sociales, politiques et religieuses clairement affirmées. Le projet initial était de favoriser l’insertion dans la société de jeunes de milieux défavorisés par le biais de l’apprentissage d’un métier lié à l’architecture et aux arts décoratifs.
Rappelons que, comme nous l’avons déjà signalé , cette tendance "sociale" et de revalorisation des artisanats était dans l’air du temps.
Ainsi c’est à la même époque, en 1865, que la Commune de Molenbeek crée son "Ecole de Dessin et de Modelage" à vocation utilitaire, afin que des ouvriers puissent apprendre à dessiner et lire des plans. Jeunes ouvriers ajusteurs, mécaniciens, serruriers, carrossiers, graveurs sur métaux, ébénistes, menuisiers, marbriers, peintres décorateurs, maçons… sont les premiers élèves.
D’après des notes personnelles d’Emile, heureusement retrouvées, nous pouvons nous faire une idée de l’enseignement qu’il reçut à cette Ecole St. Luc.
Cette Ecole défendait semble-t-il des idées que l’on qualifierait aujourd’hui de "nouvelles" tant au point de vue architecture que social. Des idées généreuses telles que celles avancées entre autre par le jeune parti ouvrier belge de l’époque et partant philosophiquement d’un grand principe idéaliste :
« Tout homme a le sens inné du BEAU et une aspiration profonde vers sa réalisation…»
Voici quelques extraits de ces notes:
...A notre époque (début XXème s.), il y a une dégénérescence du Beau, due à l’ "Aristocratisme", lequel n’est que "copie" :
- De la Renaissance : art incompréhensible pour le peuple, art qui va rechercher ses modèles dans une Antiquité totalement ignorée de la masse.
- Du Baroque : décor de théâtre : art faux
- Du Classicisme – Académisme : art mort
- Du Romantisme : art éclectique, individualiste et qui voudrait refaire du moyen âge !
1. Or il n’y a « Art » que si l’on connaît sa propre essence, son terroir, sa propre origine.
2. L’Art est dans la vie et dans une "marche en avant", pas dans des "pastiches".
3. L’art ne se trouve pas dans les musées, les galeries, les salons, car alors il est déconnecté de l’endroit et du but pour lequel il avait été conçu.
4. On a oublié le peuple. La masse est privée d’art ! Il faut répandre le "bon goût" parmi le peuple.
Quel est le remède ? L’art pour tous.
5. Tout art vrai est démocratique et authentiquement de son temps et de sa "terre".
6. Il faut étudier et utiliser tous les nouveaux métiers, les nouveaux matériaux, les nouvelles techniques, tout en revalorisant l’artisanat.
7. Leçons à retenir de Viollet-le-Duc (1814-1879) :
Il faut comprendre et appliquer les "vraies" leçons de Viollet-le-Duc : c’est-à-dire moins sa politique de restauration du moyen-âge qui fut jusqu’à un certain point contestée, mais bien ses leçons concernant les notions de rationalisme et d’équilibre que l’on retrouve dans l’architecture logique des cathédrales.
L’art gothique : ce n’est pas "l’ogive, mais c’est le fonctionnalisme rationnel"
Ce qui est intéressant à relever c’est que notre futur architecte apprit donc très tôt à juger de façon critique le style de la plupart de ces nouvelles constructions qu’il voyait s’élever à profusion autour de lui, sans vraie originalité, telles que nous les avons décrites précédemment.
On ne verra jamais chez lui ni colonnes antiques, ni cariatides, ni frontons arrondis ou triangulaires, et pas de pignons à redans dans le style néo-renaissance flamande non plus !
Quant au "Modern style" des Horta, Van de Velde ou Hankar, en a-t-il eu connaissance ? Certainement, mais il faut tenir compte des points suivants :
- Historiquement on considère que le style Art Nouveau perd de son importance vers le tout début du XXème s,
- D'autre part, le jugement de l’école St. Luc semble avoir été assez mitigé à ce sujet :
… Le Modern style fut un essai méritant pour provoquer du changement en architecture. Il faut lui rendre justice pour les efforts qu’il a faits afin de rendre à l’art du mobilier et à l’architecture des formes expressives et nouvelles... Mais il est trop souvent "déraisonnable…"
- L’art nouveau, nous l’avons vu, a été presque tout de suite et malgré ses théories de départ, un art pour riches bourgeois, ce qui ne l’a pas rendu directement accessible à tous,
- Emile part en Angleterre en 1914 et lorsqu’il en revient en 1919, le modern style n’est plus au goût du jour et une nouvelle tendance se précise vers plus de sobriété et des structures plus géométriques : l’ "Art Déco" (Exposition universelle des arts décoratifs à Paris en 1925) et le "Modernisme" ne sont pas loin !